Evit Breizh dizalc’h en Europa ar pobloù
Pour une Bretagne libre dans l’Europe des peuples
Par Yann Duchet
Suite des Voyages de Mortimer mais, cette fois, signée du véritable nom de l'auteur, ce second roman en est aussi la fin. Fin d'un roman d'amour, de voyage, de philosophie traditionnelle, d'initiation, une odyssée du XXIème siècle - les références à Ulysse sont nombreuses- qui réaffirme le droit de chacun à réécrire le rôle de sa vie. Le Destin -Tonkad/Planedenn en breton- est le maître-mot de ce récit où "rien n'est dû au hasard", mais cette fois-ci, c'est d'une héroïne, Rebecca, dont il est question, une franco-galloise, partie à la recherche d'un amour disparu, Mortimer, l'americano-irlandais du premier opus. Est-il mort ou en fuite ? Quête et enquête, rencontres et mascarades, conduiront Rebecca à travers l'Irlande de l'ouest, la plus sauvage, la plus rebelle depuis toujours, à travers les comtés de Cork, Kerry ou Clare, les villes de Galway et Mayo, de Killarney au Lough Corrib du Connemara, par Sligo et enfin Tara, la cité des anciens Hauts-Rois Gaëls. Pluie, argent, bières, rencontres masculines et féminines mènent la jeune femme à un peuple mystérieux, au coeur d'un pays où chacun porte un masque et réinvente la réalité. Et si Rebecca disparaissait à son tour ? et si Maeve-la-Rouge/Medb Rhuada, antique reine du Connacht se levait ?
Ce second roman ressemble et est la suite (il)logique du premier. L'Irlande le rend plus profond et secret. L'auteur y est tout autant tout entier dans les personnages masculins. "L'amour perdu ne l'avait pas dévasté. Leur rencontre avait été exceptionnelle. Ils s'étaient aimés. Mortimer s'était découvert, retrouvé libre sur les chemins de France. Il s'était ensauvagé en Irlande, détaché d'elle et révélé différent. Tous deux étaient passés de l'autre côté du décor." (p.232). Mais quel décor ? "Elle avait identifié la porte qu'il avait ouverte et franchie. Il était de l'autre côté du miroir." (p.233). Mais de quel miroir s'agit-il ? "Tu penses que l'homme doit être comme un roc, fort, inaliénable, imperméable aux épreuves. Pourtant tu te sens coupable et misérable de la manière cruelle dont tu t'es comporté... Mortimer était habitué à vivre en solitaire et peu disposé à aimer une femme réelle, préoccupé par ses fantômes et sa propre réalisation." (p.241). En vérité, l'autre réalité n'est-elle que le moyen le plus sûr de tenter de réaliser, de "concrétiser", les rêves d'un égoïsme irréductible et partagé par les deux protagonistes : l'homme sauvage et la vierge souveraine?
Mythologie quand tu nous tiens !
En Irlande toujours, au début du XIXème siècle, dans une vallée isolée et pauvre du comté de Kerry, Nóra a perdu son mari et sa fille et se retrouve seule avec son petit-fils de quatre ans, infirme. Pourtant, quelques années plus tôt, Micheál marchait et commençait déjà à parler. Que lui est-il arrivé ? A-t-il été changé, remplacé pendant la nuit par les fées qui auraient déposé un démon dans le berceau ? Est-ce à lui que la vallée doit la malédiction qui la frappe ? Epaulée par Mary, une jeune servante, Nóra se met en quête de la seule personne en mesure de sauver Micheál : une originale, qui vit recluse dans la lande et parle le langage des plantes. Car, même si tout le monde s'en méfie, on sait que la vieille Nance Roche a le don. Qu'elle communique avec le peuple invisible, le "Petit Peuple". Et qu'il n'y a qu'elle pour faire revenir ceux qui ont été enlevés...
Ce roman est une œuvre de fiction inspirée par des faits réels : en 1826, une "vieille femme d'un âge très avancé" connue sous le nom d'Anne (ou Nance) Roche fut inculpée du meurtre de Micheál Kelliher et jugée pour homicide volontaire aux assises d'été de Tralee. Micheál avait été noyé dans la Flesk le 12 juin 1826. Âgé de quelques années, il ne pouvait, d'après les témoins, ni se tenir debout, ni marcher, ni parler.
Liagh gach boicht bas : La mort est le docteur des pauvres.
"Good People", ces "Bonnes Gens", sont connues de toute la Tradition celtique jusqu'en Galles et Bretagne. En témoigne ce "Ar bugel laec'hiet" ou "L'enfant supposé (volé)", quatrième chant du Barzaz Breiz de La Villemarqué, collecté à la même période que l'affaire irlandaise mais en Cornouaille armoricaine. Le thème : une mère perd son fils; les fées l'ont dérobé en lui substituant un nain hideux. Ce nain passe pour muet, il se garde bien, en parlant, de démentir cette opinion, car il trahirait sa voix qui est cassée comme celle d'un vieillard. Cependant il faut que la mère l'y contraigne pour ravoir son enfant. Elle feint donc de préparer à dîner dans une coque d'œuf pour dix laboureurs, le nain étonné se récrie, la jeune femme le fouette impitoyablement, la fée l'entend, elle accourt pour le délivrer, et l'enfant qu'elle a dérobé est rendu à sa mère (Argument du Barzaz Breiz).
Ce thème est d'ailleurs identique à une tradition galloise, au vers près :
"Vit dek, mamm ger, enn eur bluskenn "Gwelais mes kyn gwelet derwenn,
Gwelis vi ken gwelet iar wenn, Gwelais wy kyn gwelet iar wenn
Gwelis mez ken gwelet gwezenn (dervenn)." Ericed ni welais efelhen."
(Barzaz Breiz) (Kembre)
Cette tradition païenne est issue, dérivée, déformée par les siècles de ce que J.R.R. Tolkien, dans une conférence prononcée le 8 mars 1939, sur l'œuvre d'Andrew Lang, à l'université St Andrews : "On fairy stories" - "Du conte de fées", nomme Faërie , mais où les "Petites Gens ou Korriganed, Kornandoned, Poulpikans et autes Farfadets" furent jadis "Grands", créatures venues de l'Autre-monde, localisé sous et dans des espaces sacrés, du Śid irlandais (v.celt. *Sedos-Paix, gall. Hedd, bret. Hezh), donc des anciens dieux celtes. Leur monde, situé dans un autre espace-temps n'est ni bon ni mauvais en soi, mais peut être, pour nous, soit bénéfique, soit dangereux... c'est selon ! Il est hors de nos codes humains et fut diabolisé par l'Eglise avant d'être ridiculisé par la science moderne... Mais l'a-t-on réellement appréhendé depuis la fin du druidisme ?
En tout état de cause, ce roman humaniste, et féminin, aborde le sujet de façon non-manichéenne et brille du sombre éclat d'une question universelle : comment, de tout temps, les hommes et les femmes ont cherché à expliquer l'inexplicable injustice de leur sort- et comment ils, et surtout elles, en furent les victimes.
Breizh da Zont - L'Avenir de la Bretagne
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Revue bimestrielle