L’agriculture bretonne au bord du gouffre

      éditorial de Thierry Jigourel n°522

Depuis des décennies, l’agriculture bretonne, fer de lance de l’économie du pays, sombre dans une crise structurelle et conjoncturelle sans que les pouvoirs publics français ne semblent s’en préoccuper. Un beau discours devant les caméras de chaînes de TV aux ordres, une main sur le cœur, l’autre, bien visible, sur un portefeuille prêt à dégainer pour distribuer des subventions dont les chiffres donnent le vertige à la ménagère mais qui, divisées par le nombre d’exploitations agricoles, ne représentent rien ou presque, et on change de sujet de conversation. Et les paysans bretons replongent dans le rouge. Le pire est que les gouvernements français qui se suivent se ressemblent étrangement dans leur surdité, répétant comme un leitmotif un discours incantatoire signifiant qu’ils ne peuvent rien faire. On a vu pourtant que sur certains projets ou propositions de lois auxquels ils tiennent expressément, ils n’hésitent pas à passer au forcing. Voire aux forceps.

          Or, que demandent les paysans bretons ? Pas l’aumône. Ni la charité. Mais le respect et la dignité. Que leurs produits leur soient payés au juste prix. A qui fera-t-on croire qu’un gouvernement digne de ce nom, si dirigiste lorsqu’il veut l’être, est incapable d’imposer aux abattoirs et à la grande distribution un prix d’achat supérieur à celui de revient ? A qui fera-t-on croire qu’un Etat qui a été capable, pour obéir au lobby des libraires, d’imposer un prix unique sur le livre et d’interdire à la grande distribution de consentir des remises supérieures à 5 %, serait aujourd’hui incapable d’envisager les mêmes mesures sur le lait ou la viande de porc ? La faute à l’Europe ? Mais la France ne se gêne pas pour enterrer textes et directives européens qui lui déplaisent, à l’instar de la Charte Européenne des langues dites régionales. Et elle ne s’opposa pas à la décision prise par l’UE, sous pression de la finance américaine, de décréter contre la Russie un embargo aussi stupide qu’irresponsable vis-à-vis de pans entiers de notre économie. Bien au contraire, comme l’écrit Al Legestr : «Paris avait été en pointe pour exiger des sanctions». Au manque de volonté du pouvoir qui ressemble étrangement à une volonté non avouée d’enterrer ou d’éradiquer la paysannerie bretonne, s’ajoute un taux de prélèvement étatique de 57 %, soit plus de dix points supérieur à la moyenne de nos partenaires européens. Des délais administratifs dignes du royaume du père Ubu. Et un poids administratif insupportable : trois ans en moyenne pour ouvrir une porcherie au «pays des Droits de l’Homme» contre un en Espagne. Qui dit mieux ? Sans parler des contrôles administratifs si tatillons, si fréquents, si systématiques qu’ils sont désormais considérés comme du harcèlement par les paysans. «Ils vont au-delà, en tout cas, des normes exigées par l’UE » (Al Legestr). Avec les drames humains qu’ils induisent... Pour l’agriculture bretonne, la seule solution est de sortir de cet Etat parasite et vampirique qui tue toute forme d’entreprise et étouffe les libertés. Seul un gouvernement breton, un ministère breton de l’agriculture avec une représentation directe à Bruxelles seront à même de sauvegarder de ce pan historique de notre activité, ce qui peut encore l’être.

Thierry Jigourel



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