PENNAD STUR de Thierry JIGOUREL

Langue bretonne, encore du chemin à parcourir !

Je me souviens d’une réflexion très pertinente de Mikael Madeg, dans l’un de ses excellents ouvrages consacrés aux surnoms populaires en Bretagne : «Étant enfant, écrivait-il en substance, je venais passer mes vacances dans le «pays de mes pères», un pays où, en cette fin de décennie 50 marquée par l’arrêt de la transmission familiale de la langue bretonne, la plupart des gens utilisaient encore le breton au quotidien. Devant l’accent des paysans et des pêcheurs, les touristes parisiens affichaient parfois un sourire condescendant. Ce qui provoqua, chez le petit Breton élevé dans l’émigration et l’exil parisiens, la réflexion que la France est le seul pays en Europe où un monolingue est jugé supérieur à un bilingue, ce qu’étaient à l’époque tous ou presque tous les naturels du Léon». Il m’est venu la même réflexion, lors d’une expérience un peu similaire, alors que je déjeunais avec un ami dans un restaurant. Après avoir conversé en breton pendant un quart d’heure avec ma voisine, j’ai adressé la parole, en français, à mon camarade de tablée. La dame, d’un certain âge, originaire de Plouaret, a alors cessé de me parler breton au motif que je comprenais le français. Plus moyen de lui tirer un seul mot de sa langue vernaculaire, véhiculaire et nationale, celle de ses ancêtres. Sans doute, à l’instar de nombre de locuteurs du breton, ressentait-elle la honte de parler la langue du pays, en plein milieu d’un restaurant de la «ville». Elle, parfaitement bilingue, se sentait inférieure à Antoine, parfaitement monolingue français, bien que d’origine portugaise, et par ailleurs très favorable à la transmission de la langue bretonne…

Que penser, alors, de la «vaste enquête menée en juin dernier, sur la pratique de la langue bretonne et du gallo» (Le Télégramme), réalisée à l’initiative de la Région Bretagne ? Rien qui modifie en profondeur les données du problème depuis quelques décennies : un recul net, sensible et régulier de la langue que n’entrave pas l’inversion de l’estime qu’ont les Bretons pour leur langue nationale. 207 000 locuteurs en 2018 contre 240 000 en 1997, soit un recul de près de 20 % en deux décennies, par simple disparition des classes d’âges qui le pratiquent. Un peu plus de 5 % de la population B 5, mais plus de 10 % de la population à l’ouest de la fameuse ligne Joseph Loth. 73 % des Bretons sont favorables à son enseignement. A mettre en perspective avec les 88 % de Bas-Bretons qui, en 1997, estimaient qu’il est «important de conserver la langue». Rien de nouveau sous le soleil breton : la pratique de la langue décroît alors même que la considération générale pour la langue s’accroît. La dame rencontrée dans le restaurant lannionnais est-elle alors une exception ? Pas vraiment dans le sens où ce sont, précisément ceux qui ne la parlent pas qui lui souhaitent un avenir serein. Là est tout le paradoxe : ceux qui l’ont reçue en héritage semblent parfois la subir plus que la porter et ceux qui la respectent et souhaitent qu’elle se perpétue, bien souvent ne se donnent pas la peine de l’apprendre et de la transmettre.

Enfin, si, d’après ce sondage, la chute du nombre de locuteurs paraît enrayée depuis une étude de 2009, il importe sans doute de nuancer et de tenir compte de l’évolution du regard des Bretons sur leur langue. La honte est tout de même moins grande qu’il y a un demi-siècle. La proportion de locuteurs qui osent avouer qu’ils parlent la langue est donc plus grande qu’il y a vingt ans. Mais le nombre de locuteurs quotidiens continue sa chute vertigineuse. Une chute que ne compense pas l’accroissement de la population scolaire des trois filières bilingues, qui frise les 20 000 élèves.

Les conclusions sont, hélas, les mêmes qu’il y a vingt ans : tant que les Bretons ne se débarrasseront pas, définitivement, de la honte d’eux-mêmes, tant que ceux qui n’ont plus honte ne passeront pas de la contemplation à une phase active d’apprentissage et de transmission de leur langue, celle-ci restera menacée de disparition, à court ou moyen terme. Et tant que l’État n’aura pas ratifié -et appliqué !- la Charte européenne des langues minorisées, le breton n’aura qu’une lisibilité officielle minime et restera confiné dans un espace de tolérance a minima.

 



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