dessin de JY CozanAet eo Jean-Yves Cozan da Anaon !

C’était un Ouessantin de cœur et de résidence. Une sentinelle placée là-bas au lointain ouest. Non pas au bout comme il aimait à le dire, mais à la «tête» du monde. Penn ar Bed, dans une perspective renversée. Et comme si la Bretagne avait déjà reconquis ses droits et sa liberté. Car l’homme à l’écharpe blanche, et récemment au bonnet rouge, était un Breton convaincu et militant. Lors de ses obsèques, à la cathédrale St Corentin de Kemper, ils étaient des milliers à entonner à sa mémoire le Bro Gozh ma Zadoù, le vieux pays de mes pères, notre hymne national. Et quelqu’un dit -et il avait raison- que Jean-Yves savait être hors la loi lorsque la loi française opprimait les Bretons...

Jean-Yves Cozan était un homme comme il y en a peu. Un menhir disent certains. On pourrait dire aussi un amer. Un amer posé, là-bas, au far-West, sur son île, sentinelle de l’Europe et sentinelle de la Bretagne. Sentinelle, gardien d’une Bretagne à la fois rebelle et sereine. D’une Bretagne debout, ont écrit certains dont Jean-Yves le Drian, qui fut un bon président de région avant que d’être neutralisé, acheté par le pouvoir français et de devenir commis voyageur d’instruments maudits de destruction massive. Un marchand de mort. Cozan, lui, ne détruisait pas la vie. Au contraire, il la célébrait. Cet homme, qui connut les ors d’une République qui chausse sans vergogne et dans la démesure de ploucs parvenus les habits somptuaires des pires tyrans de la monarchie absolue, était toujours resté fidèle à ses idées et à son peuple. Fidèle à lui-même. Homme d’Ouessant. Insulaire et péninsulaire jusqu’au bout des ongles.

Sa conscience bretonne s’était éveillée tôt. C’était au Conquet. A la fin des années 40, alors qu’il usait ses fonds de culottes sur les bancs d’une institution où des curés «Breiz Atao», comme on disait alors, restaient fidèles à leur pays autant qu’ils pouvaient l’être avec une hiérarchie globalement vendue à l’oppresseur. Un prêtre, un de ces vieux saints, de la trempe de l’abbé Perrot -Doue d’he bardono- l’avait alors, en dehors des heures scolaires, initié à une Histoire interdite, occultée des manuels scolaires. Il avait ouvert les yeux du petit Jean-Yves sur la réalité d’un peuple nié et privé de ses droits et de sa liberté à la suite d’une guerre d’agression et d’une conquête étrangère. Suffisamment en tous cas, pour que l’étudiant Jean-Yves Cozan ralliât, très jeune, le Mouvement pour l’Organisation de la Bretagne, qui rassemblait les espoirs des Bretons de bonne volonté à la fin des années 50 et jusqu’à la scission idéologique de 1964. Sur le ton de la confidence, il me confia un jour à quel point ces années de combat furent essentielles dans l’élaboration de sa pensée. Plus tard, comme d’autres, il choisit les rangs centristes, ceux qui collaient si bien à la réalité d’une Bretagne des sixties qui se méfiait des idéologies sectaires et en kit, pour mener une carrière qui lui permit de mieux servir la Bretagne. Tour à tour journaliste puis directeur du Progrès de Cornouailles, puis Conseiller général d’Ouessant, «son» île, puis Vice-président du Conseil général du Finistère, Président du Parc d’Armorique et de la compagnie aérienne Brit‘Air, il mena avec exemplarité une carrière politique qu’il voulut dédiée intégralement au service de la Bretagne, à des années-lumière des divisions idéologiques stériles. Elu député, il mit toute son énergie au service de la défense de la langue des pères, au point qu’à ce combat opiniâtre il gagna dans son pays le surnom affectueux de «Député Diwan».

 

Un vice-président impliqué

 

Il fit preuve de génie politique lorsque, fort de ses 7 % obtenus dans le Finistère, il fut élu au Conseil Régional en 98 avec son colistier Bernard de Cadenet. Plus pragmatique qu’idéologue et plus Breton que Français, il monnaya alors chèrement un soutien à celui des deux challengers -Josselin de Rohan et Le Drian- qui serait le plus offrant vis-à-vis des dossiers bretons. De Rohan, pourtant grand jacobin devant l’éternel, rafla la mise. Et Cozan, nouveau vice –président de la Région Bretagne, obtint pour la langue et la culture bretonnes tous les crédits et tous les soutiens désirés. «A cette époque, l’association Gouelioù Breizh obtint, grâce à Jean-Yves, un soutien extraordinaire qui nous permit d’avoir déjà des salariés, me confiait récemment Hervé Ansquer, son président. Ce fut la même chose pour le mouvement des bagadoù.» Sans parler de Diwan, l’une des meilleures vitrines d’une langue qui, selon Eric Conan, «journaliste» à Marianne, «n’existe pas»... «Nous avions été particulièrement touchés qu’il apporte un soutien sans faille à Jean-Pierre Ellien, président du festival de la Saint-Loup, lors de son arrestation par la Dnat, en 2003.» poursuit Hervé. Il était alors de toutes les manifestations en vue de le faire sortir des prisons françaises. ! Homme de fidélité, Jean-Yves n’hésitait pas à venir, officiellement et en ami, aux manifestations du mouvement nationaliste, comme en 98 et 99, à la commémoration organisée par le Pobl, à la mémoire des milliers de soldats du camp de Conlie que Gambetta avait volontairement laissés mourir de faim, de froid et de maladie et dont il envoya les ultimes fantômes, sans armes, au combat contre les Prussiens.

Sa volonté, clairement exprimée, de créer un grand mouvement autonomiste rassemblant diverses tendances non idéologisées de l’Emsav avait alors soulevé autant d’espoir que cette promesse non tenue avait provoqué de déceptions. L’homme à l’écharpe blanche en aurait constitué une excellente locomotive. Aurait-il réussi alors à obtenir pour la Bretagne ce que son ami José Rossi obtint pour la Corse, entre autre l’enseignement automatique – les jacobins qui ne s’offusquent pas qu’on ait imposé le français à tous les peuples d’une République centralisée sur le modèle de l’Espagne de Franco, disent... «obligatoire» - de la langue corse ? C’est possible, tant notre vieux sanglier déployait d’énergie et de flair pour obtenir des avancées significatives sur le long et pénible chemin qui mène la France vers la démocratie. Il était l’homme des images fortes et des coups de gueule, toujours signifiants, toujours nécessaires, jamais méchants.

Dans une interview qu’il accorda à l’avenir de la Bretagne au début des années 2000, il avait affirmé sans détour que pour lui la Bretagne était peuplée de Bretons et le «Grand Ouest» technocratique, que de mauvais apprentis sorciers nous concoctent dans leurs laboratoires parisiens, de «ouistitis». Autant dire que pour lui, si la Bretagne ne s’imaginait pas sans langue bretonne, elle ne se concevait pas davantage sans Nantes, sa capitale historique. Un jour, sur les ondes de Radio Breizh Izel, il se laissa même aller à affirmer - et il avait raison une fois encore- que la situation faite à la Bretagne appelle la violence. Est-ce la raison de son ralliement, sans état d’âme au mouvement des Bonnets Rouges, dans lequel les bobos parisiens et nos bons maîtres à penser qui savent tout mieux que nous, ne virent qu’un rassemblement hétéroclite de poujadistes ? Sans doute. Ce qui est sûr, c’est que Jean-Yves a bien mérité de sa patrie, la Bretagne, et de son île et de son jardin ouessantin, balisé par un grand mât qui relie le ciel à la terre et en haut duquel flotte le seul drapeau qu’il reconnaissait dans son coeur, le gwenn ha du, il n’aura pas loin à faire pour rallier, dans une barque sans rames ni voiles, le Tir na n’Og, la terre des jeunes. Et des braves.

Kenavo Jean-Yves, ha betek ur wech all !

 Thierry Jigourel

Portrait de Jean-Yves Cozan aimablement réalisé par Reun Glorion

 



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